L’association des Maisons d’édition en Bretagne rassemble les maisons d’édition des cinq départements de la Bretagne qui publient à compte d’éditeur dans une des langues de Bretagne : français, breton et gallo.

3 questions à Jean-Marie Goater et Sandrine Pondaven, porte-paroles de l’AMEB.

La fin de Coop Breizh, comment l’avez-vous vécue ?

C’est un grand gâchis. Après près de 50 ans de diffusion-distribution du livre à Spézet, la coopérative culturelle Coop Breizh a fermé ses portes en juin 2025. Ce qui reste de ses stocks, de son matériel, de ses locaux, a été dispersé lors d’une vente aux enchères mi-octobre. Cette chute a failli entraîner une partie de l’édition bretonne, celle qui était diffusée par ses canaux et celle qui était produite sur place, sous les labels Coop Breizh et Beluga, avec nombre d’auteurs et d’autrices.

Mais grâce à l’action juridique de membres sous l’égide de l’AMEB, alliés à un collectif d’autres acteurs.rices concernés – action menée par l’avocat Julien Fanen de Quimper –, les diffusés ont pu récupérer leurs stocks dans la grande majorité.

Pour certains, une nouvelle solution de diffusion-distribution régionale est providentiellement apparue au sein de la maison d’édition Palémon et de sa branche dédiée PLM. Si cette solution ne touchait qu’une poignée de maisons au début du redressement de Coop Breizh, ce sont finalement 15 structures qui ont rejoint ce canal commercial officiant depuis Quimper. Y compris certaines spécialisées en langue bretonne. On ne peut que souhaiter, pour l’ensemble de la chaîne du livre, que cette transition permette rapidement à tous ces livres produits en Bretagne de retrouver le chemin des librairies.

Ceci ne concerne toutefois pas tout le monde : d’autres structures devront trouver de nouvelles solutions, et dans le paysage actuel du livre, avec souvent un besoin de visibilité locale et régionale forte, ce n’est pas évident. Les libraires pourront, ponctuellement, accepter les solutions de diffusion directe, mais que jusqu’à un certain point : la diffusion-distribution déléguée reste le mode de fonctionnement le plus courant des points de vente.

Tout cela laisse des traces. Les salariés de Coop Breizh se retrouvent sans emploi. Plusieurs maisons d’édition décident de fait d’arrêter leur activité ou se mettent en sommeil. Les auteurs et autrices de ces maisons se retrouvent sans éditeur. La librairie de Lorient a fermé ses portes, sans repreneur. Les dettes sont nombreuses auprès des imprimeries, des prestataires, des prêteurs publics et privés, des auteurs… La commune de Spézet se voit privée d’un acteur économique important et symbolique pour elle.

Côté auteurs et autrices publiés chez Coop Breizh, la liquidation a heureusement permis à la majorité de racheter leurs stocks. Ce n’est certes pas une solution idéale, mais ces stocks ont été ainsi soustraits de la vente aux enchères et ne finiront pas dans le circuit parallèle des soldeurs et bouquinistes.

Pour que ces titres reprennent toutefois le chemin des librairies, il faut un nouvel accord avec un éditeur diffusé et distribué. C’est ce qui a concerné au premier chef la quasi-intégralité des titres sous le label jeunesse Beluga de Coop Breizh, repris par les éditions du Palémon après liquidation. Les stocks existants, les rééditions-réimpressions (et des nouveautés) réapparaîtront progressivement en librairie. Cela a concerné aussi plus d’une cinquantaine de titres, repris au sein des éditions Locus Solus, rendus disponibles en diffusion nationale au 1er novembre.

Ce n’est que partiel, et il faut être conscient que, avec la disparition de CB, nombre de titres anciens ou de projets nouveaux d’auteurs et autrices en Bretagne auront bel et bien du mal à trouver preneur demain.

Pensez-vous que le livre est en crise en Bretagne ?

Il l’est autant qu’il peut l’être ailleurs, avec les nouvelles pratiques culturelles, digitales ou non, la concentration dans les grands groupes d’édition, etc. En Bretagne, la filière du livre évolue sans cesse, des premiers livres voient le jour, de nouvelles collections, on assiste à un réel dynamisme et créativité dans les domaines du livre d’art, de la littérature en langue bretonne, de la jeunesse, de l’imaginaire, pour ne citer qu’eux. De nouvelles maisons d’édition naissent ou rejoignent notre territoire, des points de vente – librairies et autres – ouvrent. Rappelons que la culture du livre en Bretagne et ses acteurs.rices sont notre pouvoir d’influence, notre soft power ! Les formes du livres, l’objet livre, peuvent évoluer, les sujets sont à renouveler quand le lectorat aspire à d’autres récits, à d’autres univers, il faut donc s’adapter.

Dans son dernier roman, Marc Gontard, grand écrivain breton de langue française, s’inspire pour le titre d’une phrase de Guillevic : « Il n’y a pas d’ailleurs pour guérir d’ici ».

À nous de faire preuve de résilience, et pourquoi pas collectivement. L’AMEB réunit 35 maisons mais d’autres pourraient adhérer et contribuer au débat. Nous mutualisons déjà plusieurs stands en salons comme récemment à Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, ou au Festival interceltique de Lorient, et bien d’autres initiatives sont possibles. Mieux se connaître et partager, c’est faire entendre nos objectifs communs d’une plus grande place du livre édité en Bretagne, quel qu’il soit : en librairie en médiathèque, au niveau scolaire ou universitaire, dans les collectivités, les médias et relais d’opinion, etc.

Enfin, si la Région Bretagne et certaines collectivités poursuivent leur soutien à cette filière économique et culturelle, il n’y a pas de progression mais peu ou prou un maintien. Il faut rendre plus accessibles pour les éditeurs en Bretagne les aides, les résidences d’auteurs.rices, les accès aux marchés publics… L’édition en Bretagne porte globalement une attention de plus en plus forte aux enjeux environnementaux (cf le dernier n° de Pages de Bretagne de Livre et Lecture en Bretagne), aux thématiques de progrès social et sociétal : il nous faut plus communiquer sur cette valeur ajoutée que nous représentons par rapport à l’édition nationale.

Avez-vous des propositions pour construire un avenir à cette filière ?

De façon générale, on peut d’abord dire que promouvoir la lecture, particulièrement auprès du public jeune, est essentiel. Pour l’avenir de la filière au sens matériel, mais aussi pour l’avenir démocratique de notre société : la lecture participe à notre émancipation, à notre sens critique, esthétique, politique, culturel…

À l’image de l’initiative Breizh Alive, le Festival du livre en Bretagne de Carhaix, comme celui de Guérande qui en est l’alter ego, reflètent la vivacité de cette filière. Pour éviter de nouveaux naufrages, pourquoi pas se doter de structures pour garantir, préserver à la fois ce qui existe et a existé, mais aussi pour accompagner les initiatives et les créations de demain ?

À l’exemple des Basques d’Elkar, pourrait naître une Fondation pour les langues et la culture en Bretagne, d’utilité publique, pour accompagner librairies et maisons d’édition dans leurs projets de développement, de création et de transmission, accorder des bourses et des aides, et soutenir l’apprentissage de nos langues, soutenir des bibliothèques en breton dans chaque département (comme déjà au Centre culturel breton de Saint-Herblain, à la bibliothèque en breton de Cavan, etc.). Un projet de Bibliothèque Nationale de la Bretagne serait à construire autour de la préservation de notre patrimoine/matrimoine littéraire et linguistique mais aussi autour du soutien à la création dans les langues de Bretagne et à la lecture en breton et en gallo.

Enfin, rien ne sera possible sans la mobilisation des gens, sans leur soif de lecture et de culture, et sans  persuasion auprès de nos institutions, de nos représentant.es. et de nos services publics.

Créative, innovante, rayonnante, mobilisée et critique : oui à une Bretagne positive portée par la filière du livre !