Tu ne seras plus mon frère

Christian Blanchard

Résumé

« Dites-moi si la guerre est un jeu »    (Glenmor)

 

2010, Syrie, sud-ouest d’Alep, la famille Berger vit unie et heureuse sur son exploitation agricole : le père, chrétien d’origine française, la mère, musulmane modérée, Kasswara, le fils aîné, ancien tireur d’élite de l’armée syrienne - à ce titre, il a eu droit à garder son arme -, Kamar, cadet, fou d’admiration pour l’aîné, deux jeunes sœurs.

2019, France, Seine-Saint-Denis, Florence Dutertre, assistante sociale, prépare la réinsertion d’« enfants » français rapatriés de Syrie, après la chute de Daech. Mais voilà qu’après deux autres jeunes, Youssef est abattu sous les yeux de Florence. Une seule balle, pas de détonation, aucune trace : du travail de pro, de snipper.

Entre ces deux dates, le « printemps » syrien et l’immédiate et féroce répression de Bachar el-Assad. Les Berger se divisent : le père et Kasswara soutiennent le mouvement démocratique, la mère et Kamar restent fidèles à Bachar. Un père et une mère pris dans un même étau ; leur égal amour pour leurs deux fils séparés à jamais. Kamar devance l’appel : il deviendra snipper dans l’armée régulière. Kasswara rejoint l’Armée Syrienne Libre.

Deux récits alternent donc : enquête policière en France, guerre en Syrie et duel fratricide. Mais Christian Blanchard a choisi de confier la narration du second à Kasswara et d’en éliminer toute considération politique ou éthique. Le récit se poursuit en phrases brèves, haletantes, réduites à l’action et à tout ce qui la concerne, nourries de précisions méticuleuses. Dès lors, le lecteur devient Kasswara prolongé dans son fusil qu’il a baptisé Nour, Lumière. Pour lui, ne compte plus que la guerre et son boulot de snipper ; tuer, ne pas être tué. Tout repérer, tout analyser à la seconde même, se planquer, vitesse du vent, compte des tirs et contenu du chargeur. Confondus en un seul, Kasswara et le lecteur sont devenus une machine avec quelques rares, de plus en plus rares, états d’âme. Car l’horreur appelle l’horreur : il faut résister aux armes chimiques de Bassar, éliminer les « nettoyeurs » égorgeurs de Daech (de tout jeunes fanatisés) … Et Kasswara sait que pour les siens, le camp démocratique, il lui faut supprimer cet as du tir qu’est devenu Kamar. Résister aussi à l’abattement que suscite le lâchage occidental laissant le champ quasi libre à la Russie. Résister à la désolation quand Kasswara apprend que ses parents et ses sœurs ont été tués dans un attentat islamiste. Résister et faire de sa peur une amie… Tout cela, par la force du roman, le lecteur le vit intensément, lit ce livre dont il ne peut se détacher, une boule au ventre, jusqu’au dénouement final à Paris. Un dénouement final en point de suspension…  Tu ne seras plus mon frère ne laisse pas plus indemne le lecteur que Kasswara. Mais désormais l’un et l’autre savent en quoi consiste « la région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » (Malraux).

Yannick Pelletier
Membre du jury du prix de la ville de Carhaix