Mon étrange sœur

Marie Le Gall

Résumé

Éléments biographiques et notes bibliographiques

1936. Dans le Finistère, une mère met au monde un bébé qu'on prévoyait mort-né. C'est une très belle petite fille qui sera, toute sa vie, à la fois proche et inaccessible. Les bombardements de Brest la fragilisent davantage. Elle pousse sans cesse des cris très difficiles à calmer. Le père est mutique, la mère fait l'impossible pour rendre la vie supportable. L’enfant grandit dans ce milieu âpre. À dix-neuf ans, elle est abusée sexuellement. Cette année, naît une petite sœur, Marie. Un amour fusionnel les lie à tout jamais.

Marie Le Gall raconte, dans son troisième roman, le parcours de celle qu'elle appelle « la Sœur ». Elle traite de la folie, de la difficulté de communiquer, du poids du handicap dans une famille, des mensonges aussi pour cacher cette infirmité, de L’errance dans les différents hôpitaux où cette sœur a vécu jusqu'à sa mort; mais aussi des tâtonnements de l'histoire médicale. Rien ne nous est épargné. Le lecteur est pris par cette tragédie qui conduit la narratrice à une dépression proche du suicide. Certains sujets ne sont qu'effleurés: subsistent des zones d'ombre que le dénouement éclairera.

Marie Le Gall a publié La peine du menuisier et Au bord des grèves chez Phébus. Finaliste du Goncourt du premier roman, elle reçoit le prix Bretagne 2010 et obtient la Résidence Paris-Québec. Mon étrange sœur est son troisième roman.

 

Ce qu’en pense le Jury…

Dans la suite de La peine du menuisier (Prix Bretagne 2010), Marie Le Gall reprend son roman familial avec Mon étrange sœur. Cette fois, la figure paternelle s’efface. Celle de la mère ne s’impose pas, trop irrationnelle, mal en prise avec la réalité niée ou travestie. La grand-mère est un ancrage réel, mais extérieurement trop lisse pour s’y amarrer fermement. Face à la narratrice reste donc celle qu’elle nomme la/ma « Sœur » et qui ne cessera d’envahir tout et tous.

La narratrice est née dix-neuf ans après la Sœur. « Ma ! », s’exclament les commères brestoises. Comment est-ce « possib’ ». Car la grande elle est…, elle n’est pas… Bref, pour le voisinage elle est la « dingo », qui ne fait rien ou presque comme les autres, même qu’ « on se demande pourquoi ils (les parents) ne l’enferment pas ! ». Par défaut d’établissement adéquat, peut-être. Parce que tous l’aiment cette « étrange » petite fille, fille et Sœur. Pourtant celle-ci leur en fait voir de toutes les couleurs entre ses crises violentes qu’on ne dompte qu’en l’attachant, ses crises d’amour qui étouffent et secouent, au sens physique concret, tout son entourage et surtout la petite sœur, la narratrice. Et pour couronner le tout, il y a ses coups de folie. Elle voudrait tant se marier la Sœur qu’avec la petite, elle s’invente un mariage mimé jusqu’à m’église du bourg où la famille passe ses vacances. Scène grandiose, comique en apparence, puissamment tragique. Car cette Sœur dont on ne saura jamais quel mal précis la frappe, souffre dans sa conscience et dans sa chair. Le roman de Marie Le Gall n’est pas un roman sur le handicap. Il est un roman sur l’humain, notre nature profonde qui a peu à voir avec le seul état physique ou mental.

Mon étrange Sœur qui ne manque pas de trouver étranges ces autres prétendus normaux normalisés subit son destin dans un monde réel que Marie Le Gall restitue avec brio, dans une géographie précise - Brest, Dirinon -, dans une société rendue charnelle par ses mœurs et son langage qui mélange breton et français, par la restitution de l’odeur des champs et des grèves. Par le regard critique sur toute une société - la nôtre – qui se débarrasse de ce, de ceux qui la gênent : étrange, étranger. Et Marie Le Gall de nous poser l’éternelle question : qui sommes-nous ?

Yannick Pelletier
Membre du jury du Prix du Roman de la Ville de Carhaix