Les Sacrifiés

Sylvie Le Bihan

Sylvie Le Bihan Gagnaire est directrice de l'international pour les projets des restaurants Pierre Gagnaire. Elle publie son premier livre chez Flammarion en 2013 Petite bibliothèque du gourmand avec une préface rédigée par son mari Pierre Gagnaire. Son premier roman, L'Autre, est publié aux éditions du Seuil en 2014 et reçoit plusieurs prix (prix du premier roman de "La Forêt des Livres", prix du premier roman de Chambéry...). En 2015, son deuxième roman Là où s'arrête la terre est publié aux éditions du Seuil. Les Sacrifiés est son dernier roman publié en 2022 aux éditions Denoël.  

Résumé

Le roman s'étire de Séville, 1925, à Paris 2000, en alternant les grandes périodes et leurs épisodes particuliers sans en suivre la stricte ordonnance chronologique. Trois époques le structurent, attachées chacune à un personnage : Ignacio, Federico, Juan. Le premier Ignacio Sanchez Mejias fut un maître et une vedette de la tauromachie, le second n'est autre que le poète Federico Garcia Lorca qui publia en 1935 un superbe Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias à la mort du torero. Juan Ortega, fils d'un peon de Mejias, enfant pauvre, cuisinier riche de talent, incarne l'essence du gitan. Tout le roman s'exprime à travers son regard, passe par le filtre de ses sentiments. Mais une femme Encarnacion, La  Argentinita, célèbre danseuse de flamenco qui fit carrière en Espagne et en Amérique latine, unit les trois hommes qui l'aimeront, chacun à sa façon et qu'elle aimera à sa manière, plus que quelques autres mais moins que son art. Ignacio vit pour le combat dans l'arène, son corps et son âme ne vibrent que dans cet affrontement amoureux mais voué à la mort avec le taureau. Il interrompra sa carrière avant de la reprendre pour se consacrer à la poésie et avec Encarnacion, Lorca, Dali, Rafael Alberti, participera à la Génération 27 qui ouvrira l'Espagne à la modernité. Juan, devenu le cuisinier d'Ignacio sera de toutes les fêtes, de toutes les créations, de tous les drames, mais toujours un peu détaché et toujours follement épris d'Encarnacion. Cependant au fil du temps, les espoirs de la République s'étiolent et bientôt la guerre civile s'impose.

Roman historique, roman d'amour, roman culturel, sociologique, Les Sacrifiés, c'est tout cela et ce n'est pas cela. Le tour de force de Sylvie Le Bihan est d'entraîner son lecteur dans les tourbillons de la vie, de l'attacher à ses personnages, de le faire intime presque du moindre geste, de la plus fugace pensée, du sentiment le plus ténu de chacune et chacun en le faisant plonger au tréfonds de chaque âme. Mais l'auteur décape les faux vernis de toute attitude, de tout discours : Lorca est un peu tête à claques, Encarnacion nombriliste, Ignacio tête brûlée, Juan trop épris de soi et de son orgueil  gitan. Mais sous la  carapace, la douleur des êtres, une insoutenable légèreté, le poids d'une éducation et de l'enfance. Et sur chacun, l'Histoire, ses slogans, ses diktats et ses haines. Mais que faire donc de sa vie et de la vie des autres ? Vivre n'est-il que trahir bon gré, mal gré, le voulant ou l'ignorant ? L'idéal fervent n'est-il que le prélude de l'amère désillusion ?  Tous sacrifiés, mais par qui, par quoi ? Par soi-même peut-être. Pour n'avoir pas eu le courage du bonheur, l'intention d'un sourire.

Les Sacrifiés:un roman superbe et poignant dont le tragique résonne comme un hymne à la vie, malgré tout, envers et contre tout.

Yannick Pelletier
Membre du jury du prix de la ville de Carhaix