Le catalan est une langue dérivée du latin, tout comme le français, l’italien, l’espagnol, le portugais, l’occitan ou le roumain. Cette langue est née il y a plus de mille ans et elle est aujourd’hui parlée par dix millions de personnes dans plusieurs territoires sur quatre états en Europe que l’on appelle les Pays Catalans : la Catalogne du Nord en France, l’Andorre, la Catalogne su Sud, le Pays Valencien et les îles Baléares en Espagne, et la ville de L’Alguer en Sardaigne, Italie. Dans la plupart le catalan a un statut de langue officielle et est, aujourd’hui, une langue normalisée : une langue de communication (télévisions, radios, Internet, presse écrite…), une langue de l’économie (bourse, publicité, entreprises…) et une langue de proximité (marchés, fêtes traditionnelles, commerces…). C’est aussi, évidemment, une langue de culture et, en particulier, de littérature.
En effet, la littérature catalane est l’une des plus anciennes d’Europe et, même pendant des périodes politiquement difficiles, elle est restée ouverte aux courants les plus modernes venus du monde entier, avec un nombre d’écrivains comparable à d’autres ensembles linguistiques similaires.
Le premier texte connu en catalan est un recueil de sermons religieux du XIIème siècle : les Homelies d’Organyà. À cette époque, il existait déjà une littérature écrite en Catalogne, mais en langue occitane, qui était considérée comme la langue littéraire par excellence du fait du grand prestige des troubadours occitans. Les premiers troubadours catalans, même s’ils n’écrivaient pas en catalan, ont néanmoins forgé une littérature propre qui reflétait le degré de raffinement de la noblesse catalane. Le premier grand écrivain en langue catalane a été le Majorquin Ramon Llull (Raymond Lulle), qui fut aussi le premier penseur européen à utiliser une langue dite vernaculaire (autre que le grec ancien et le latin) pour écrire une œuvre théorique. Ce noble qui s’était fait moine a conçu une œuvre très dense, en catalan, latin et arabe, destinée essentiellement à consolider et à propager la foi chrétienne. Il est considéré comme l’un des grands écrivains médiévaux européens.
Au cours des XIIIème et XIVème siècles, la langue catalane, en tant que langue de la Couronne d’Aragon, s’est propagée dans toute la Méditerranée. À cette époque-là, les chefs-d’œuvre de la prose catalane sont les Quatre Grandes Chroniques, qui sont à la fois des mémoires, de l’histoire et des témoignages directs ; elles furent écrites respectivement par les rois Jaume Ier et Pere II, l’empordanais Ramon Muntaner et le roussillonnais Bernat Desclot.
Aux siècles suivants, d’une grande richesse stylistique, le centre littéraire catalan se déplace à Valence. Le poète Ausiàs March, auteur d’une œuvre émouvante et intimiste, est considéré comme l’un des poètes majeurs de l’Europe médiévale. D’autres écrivains essentiels ont été Jordi de Sant Jordi, Bernat Metge ou Jaume Roig. En ce qui concerne la prose, la littérature catalane a donné une œuvre de premier plan, le roman Tirant lo Blanc, de Joanot Martorell, qui a ouvert la voie au roman au sens moderne du mot. Il raconte les aventures tragiques, épiques, sentimentales mais aussi érotiques d’un chevalier breton, depuis l’Angleterre jusqu’à Constantinople.
Les circonstances politiques ont fait que l’influence directe de la cour de Madrid a été de plus en plus forte en Catalogne, provocant un affaiblissement du prestige de la langue catalane parmi la noblesse et la grande bourgeoisie. Ce fait a été aggravé par la double interdiction de la langue catalane. Tout d’abord par un édit de Louis XIV du 2 avril 1700 qui interdisait l’usage officiel du catalan dans la partie de la Catalogne annexée par la France en 1659. Un peu plus tard par un décret du roi Philippe V, qui, entre 1707 et 1715, a interdit la langue catalane au Pays Valencien, en Catalogne et aux Baléares. Cette deuxième interdiction suivait la défaite militaire des Catalans, alliés aux Autrichiens, contre les Castillans alliés aux Français, durant la Guerre de Succession, qui mit fin à l’indépendance de la Catalogne. Néanmoins, la langue catalane a continué à être utilisée par des écrivains, de manière souvent plus discrète et avec moins d’ambition. Pendant trois siècles, la littérature catalane a vécu surtout au travers de chroniques (Cristòfor Despuig), de théâtre religieux et populaire et de poésie (Pere Serafí, Joan Timoneda, Josep Vicenç Garcia, Francesc Fontanella).
En 1833, le Barcelonais Bonaventura Carles Aribau a publié La Pàtria, un poème manifeste à la fois sentimental et revendicatif qui évoque la Catalogne et la langue catalane. Ce poème est considéré comme marquant le début du mouvement culturel et intellectuel appelé Renaixença qui a permis à la littérature catalane de regagner le prestige perdu trois siècles durant. À partir de ce moment, les écrivains ont commencé à écrire à nouveau en catalan, et à lier le destin de la littérature à celui du pays. Ces préoccupations ont commencé à être évidentes dans l’ensemble de la société de la Catalogne du Sud, où a mûri le désir de faire vivre la Catalogne et d’en revendiquer le passé pour construire son avenir. Le plus grand écrivain de cette période a sans nul doute été Jacint Verdaguer. Ce religieux, dont la poésie épique évoque souvent les origines légendaires de la Catalogne, en particulier avec son chef-d’œuvre, Canigó. Il a eu une influence déterminante et un grand prestige même au-delà des frontières catalanes. Progressivement, cette langue a de nouveau été utilisée dans tous les genres littéraires ; de Narcís Oller (propagandiste du naturalisme à la Zola) à Àngel Guimerà (qui faillit recevoir le prix Nobel à la même époque que Mistral l’obtenait écrivant en provençal).
À la fin du XIXème siècle et surtout au début du XXème siècle, la littérature catalane est devenue à nouveau comparable à la littérature européenne, avec des courants d’avant-garde et des courants plus classiques. La quantité et la qualité d’écrivains dans ce premier tiers de siècle sont dignes d’admiration. La poésie (Josep Maria de Sagarra, Josep Carner, J.V. Foix, Josep Sebastià Pons, Joan Salvat-Papasseit, Bartomeu Rosselló-Pòrcel, Màrius Torres…) et le roman (Prudenci Bertrana, Joaquim Ruyra, Víctor Català, Francesc Trabal) ont été les genres les plus appréciés et ont connu de nombreux succès éditoriaux.
La fin de la Guerre Civile espagnole et la victoire du général Franco a représenté une coupure brutale pour toute la société sud-catalane. La nouvelle interdiction de la langue catalane, seulement tolérée dans le cercle familial, a obligé beaucoup de Catalans à s’exiler ou à se taire. L’édition catalane, interdite, a survécu dans de très dures conditions de clandestinité jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau autorisée, de manière partielle et toujours sous la stricte surveillance d’une censure d’État implacable. La langue catalane, dépourvue de légalité, n’avait cependant pas perdu sa légitimité et a continué d’être la langue d’expression de nombreux écrivains. Les thèmes de la défaite, de l’exil et du silence ont été les fils conducteurs d’un grand nombre d’œuvres littéraires écrites pendant ces années-là.
On considère que le chef-d’œuvre du roman catalan a été écrit sous cette dictature. Il s’agit de La Place du diamant, de Mercè Rodoreda, un roman qui décrit la vie quotidienne d’une jeune mère de famille barcelonaise dans le contexte de la Guerre Civile perdue. Il a été traduit en un grand nombre de langues. Les prosateurs Manuel de Pedrolo, Llorenç Villalonga, Pere Calders, Avel·lí Artís-Gener, Maria Aurèlia Capmany, Josep Pla, Joan Perucho, les poètes Carles Riba, Salvador Espriu, Joan Vinyoli, Pere Quart, Gabriel Ferrater, Miquel Martí i Pol ont amplement démontré que si l’interdiction explicite d’une langue est un obstacle cruel à sa diffusion, elle ne peut empêcher le talent de s’exprimer dans toute sa splendeur.
La littérature catalane est aujourd’hui définitivement consolidée, en termes de création et de diffusion. La restauration de la démocratie et de l’autonomie a permis au catalan de redevenir une langue pleinement moderne. Jamais le nombre d’écrivains catalans traduits en d’autres langues n’a été aussi important. Il existe des maisons d’éditions dans tous les territoires de langue catalane et les écrivains d’expression catalane, qu’ils soient de Barcelone, de Valence, de Perpignan ou de Majorque font partie du paysage intellectuel et médiatique comme dans n’importe quel pays.
Quelques chiffres clés
- – Titres publiés en Espagne en 2021 : 79 373, dont 60 362 (76%) en espagnol ; 10 853 (13,7%) en catalan et 10,3% en d’autres langues (galicien, basque, asturien, anglais…)
- – Chiffre d’affaires du secteur de l’édition en Catalogne (2019) : 1.219 M € (50,4% du total de l’Espagne) dont 240 M € en langue catalane
- – 89,1% des livres en catalan sont publiés en Catalogne ; 5,2% le sont au Pays Valencien
- – 650 maisons d’édition en Catalogne, dont au moins 200 publient en catalan
- – 40 000 nouveau livres par an, dont 7 000 en catalan
Source : Comercio interior del libro 2019 et 2021 (FGEE).