Les oubliés de la lande

Fabienne Juhel

Résumé

 

Résumé de la 4ème de couverture

C'est un endroit si isolé qu'aucun chemin n'y mène. Une contrée sauvage qu'aucune carte ne mentionne. C'est un village sans nom. Un trou noir. Ils sont une trentaine à vivre là, oubliés dans la lande. Tous ont une bonne raison de s'y être réfugiés. Il y a ceux qui craignaient la mort. Ceux qui ne pouvaient imaginer leur vie sans l'homme qu'ils aimaient. Et les autres, aux motivations moins avouables. Mais cette quiétude éternelle va être foudroyée, le premier jour de l'été. Tom, l'unique enfant de la communauté, fait une découverte macabre : le corps d'un inconnu, aux portes du village. Il a déjà été témoin d'autres événements inexplicables. Quelqu'un aurait-il réveillé les vieux démons ? 

Dans son cinquième roman, Fabienne Juhel mène l'enquête avec une redoutable efficacité, fouillant le passé de chacun de ses personnages pour en dévoiler les plus funestes secrets. Roman à suspense, Les oubliés de la lande nous offre une remarquable réflexion sur le sens de la vie, ce temps compté qui donne tout son prix aux instants vécus.

 

Ce qu’en pense le Jury…

Ce prix du Roman de la ville de Carhaix tient profondément à cœur à Fabienne Juhel. La raison pourrait en être que le palmarès de ce prix donne dans le haut de gamme, tant par la reconnaissance accordée à des talents affirmés que par l’attention portée sur de jeunes auteurs, voire sur des premiers romans. Prix de confirmation et de découverte donc. Voilà qui sied au mieux à Fabienne Juhel née en 1965 dans le Pays de Quintin, pays gallo et bretonnant, alliant ses lieux-dits de la Ville-Juhel à Kernanouët, de la Belle-Issue à Garz an Cloarec… Ville Juhel ? Hé oui, ya vat, Fabienne a choisi son nom d’écrivain dans sa terre charnelle. Et depuis son premier roman, La Verticale de la lune (2005) aux Oubliés de la Lande (2012), elle n’aura cessé d’imposer son talent aussitôt reconnu et un style qui n’appartient qu’à elle, reconnaissable entre tous.

Ses titres d’abord, mystérieux et captivants . La Verticale de la lune, A l’angle du renard, Les hommes sirènes ou Les Bois dormants, Les Oubliés de la lande. Un monde-Juhel avec sa puissance nocturne, ses lieux et ses animaux de prédilection, renard, loup, sanglier.

Ses dédicataires, ensuite. Amis  mais aussi famille : grands-mères, mère, sœur, nièce et par deux fois, le père « faiseur d’histoires » ou découvreur pour sa fille conteuse, raconteuse, romancière (Les Oubliés de la lande). Peut-on parler d’un clan Juhel comme on peut évoquer un clan Hélias ?

La Ville-Juhel et la Bretagne deviennent alors comme l’omphalos grec, la pierre sacrée de Delphes, le centre du monde.

Un style. Phrase sèche ou longue période. Pureté classique vivifiée de bretonnismes. Des mots possédant un corps, une odeur, un accent. Un mélange de réalisme et de surnaturalisme comme dans les chants populaires en breton ou en gallo. Une mise en forme du monde-Juhel. Après tout, Fabienne Juhel sait écrire, comme elle le dit, « du point de vue des goélands », aussi bien qu’elle parle renard…

De quoi nous parle-t-elle ? De l’enfant, de l’homme, termes génériques que vient habiter un prénom, un nom parfois, dénominations incertaines… Rêves et obsessions d’une petite fille ou d’un solitaire perdu au milieu des gens mais trop bien accordé à sa nature : un renard prédateur. Les romans de Fabienne Juhel passent parfois du conte au thriller, à moins qu’il ne s’agisse d’une condition tragique de l’existence héritée du théâtre grec. Elle nous parle encore  du noir des corps et des âmes : ces « bois » dans lesquels se perd la conscience d’une jeune femme rongée par une tumeur au cerveau, ou bien des appendices meurtriers du nazisme et des « hommes-sirènes ». Quel appel, quel chant de l’homme faut-il écouter ? C’est du fond même de la déraison et de la démesure que naît l’espoir, affirme Louis Guilloux. C’est au fond même de la nuit que jaillit une lumière, c’est de « l’exil » que surgit « le royaume » atteste Albert Camus que Fabienne cite en exergue à son premier roman.

Fabienne Juhel sait que malgré tout, en dépit de tout, la beauté existe et qu’elle vivra – ô combien fragile – si les « faiseurs » de mots entretiennent sa petite flamme. Tel est l’écrivain dont la fonction est de dire le monde et de l’enchanter. Alors, le loup et le renard, s’ils ne sont pas sauvés, seront moins perdus. Que le réel croise alors la légende, que Dahut et Morgane clament à la révolte même si les Lavandières de nuit cherchent une victime à endraper

D’ailleurs, l’Ankou l’avait bien raté ce domaine où le temps n’existe plus pour « Les oubliés de la lande ». On n’y meurt plus, on n’y vieillit pas, on n’y grandit pas non plus. Mais à condition de garder le « royaume » intact, secret, de n’en pas sortir… Seul, l’idiot du village, Edern, parvient à passer d’un monde à l’autre. Normal pour Edern, portant le nom du dieu celte lié au royaume des morts avant d’être sanctifié et d’avoir sa paroisse à Lannedern dans les Monts d’Arrée. Mais même dans le pays des merveilles, l’homme reste l’homme. L’enfant sauvera-t-il la « lande oubliée » ?

Au lecteur de découvrir la réponse, pour vivre les mots charnels d’une belle aventure contée, pour s’émerveiller au royaume du livre, avant de retourner à l’exil du quotidien…Mais puisqu’il nous est donné le droit de vivre dans un monde et dans l’autre, le lecteur pourra revenir au pays de Juhel, écouter Fabienne la faiseuse d’histoires, cette Bretonne à l’écoute des mondes, qui vit à la verticale des mots et à l’angle de l’humain pour que ne soient pas oubliées ni perdues dans la détresse des landes ou des bois de l’ éternel sommeil la plus infime présence, la plus menue parole qui portent « nostalgie d’amour/et soif et faim de tendresse » comme l’espérait Xavier Grall.

Yannick PELLETIER
Membre du jury du Prix du Roman de la Ville de Carhaix.